Il s’agit d’un « théâtre à l’italienne » fait en échafaudages de chantiers dont « la scène » se trouve derrière la vitre de la fenêtre majestueuse qui domine le lieux, et « le spectacle » est la ville.
Le travail de Jason Karaïndros ouvre au monde. Entre apparitions et disparitions, ombres et pénombres, il rend sensible l’essence des choses, et par là-même le sens de l’« être ». Parfois frontalement, en pointant du doigt ce que nous oublions ou ne voulons plus voir, souvent de façon imperceptible, son oeuvre – nécessitant de prendre le temps, de sentir et de ressentir – s’attache à dévoiler la nature des éléments. A la Maréchalerie, Jason Karaïndros transforme l’espace – lieu hybride et atypique, totalement recomposé, et cependant chargé de l’histoire forte et prestigieuse du château de Versailles – en théâtre à l’italienne où est joué un spectacle conçu et réalisé par l’artiste. Des modules d’échafaudages assemblés sur deux niveaux composent la structure architecturale du théâtre et invitent le visiteur à pénétrer promenoir, corbeille et balcon. L’arcade vitrée de l’espace d’exposition est fermée par un rideau de scène : face à la simplicité de la structure métallique – éphémère, faisant appel à des éléments constructifs simples –, la préciosité du tissu rouge, référence commune au lieu de spectacle. L’ensemble est baigné d’une lumière artificielle et légère. Les instruments d’un orchestre invisible s’accordent. Que va-t-il se passer ? Quel spectacle va-t-on jouer ? Qu’attendons-nous ? Puis la pénombre… l’orchestre s’arrête, le rideau s’ouvre… L’éclat de la lumière, naturelle cette fois, pénètre soudainement l’espace, en même temps que la ville et ses caractéristiques visuelles et sonores : ambiances de Versailles, mais aussi « villes d’ailleurs », traces des voyages de l’artiste dans les sites urbains du monde… bruits familiers. La ville, comme l’espace d’exposition lui-même, sont « spectacularisés », « scénographiés ». La pensée cherche et vagabonde : attendre, entendre et voir. L’artiste invite de regarder la ville, d’entendre ses silences et ses bouleversements, d’être attentifs au monde, à l’autre et à soi-même. A partir d’une construction très précise, les images que Jason Karaïndros nous donnent à voir relèvent purement de l’émotion et sollicitent les sens : l’ouïe, la vue. Ce sont des étincelles qui tiennent l’esprit et le coeur en éveil, après l’observation attentive, la vie : une certaine « contemplation active ».
Valérie Knochel