Des tentatives pour essayer de s’approcher de l’incommensurable.
La lumière va vite, on le sait ; mais quelle est sa vitesse ? On y songe rarement, la réponse scientifique est presque 300 000 km par seconde.
Après avoir traité ce sujet de manière symbolique par des diaporamas et des ombres, j’ai décidé de le traiter physiquement. Suivre et faire apparaître la lumière, tel est le projet. Comment rendre compte physiquement et dans le temps de ce qui n’est pas représentable, et à peine pensable.
– La première tentative a été de bobiner 300 000 km de fil nylon très fin. Résultat, impossible d’en trouver une telle longueur ni un « noyau » qui puisse supporter la tension et le poids d’une telle quantité. En réduisant la longueur du fil au 1/10 000e, soit 30 km ; il m’a fallu 12h environ pour l’enrouler, petit à petit, mètre après mètre, avec une vieille machine autour d’une bobine en magnésium de 15 cm de haut (matière nécessaire aux organismes vivants et qui a la particularité de devenir blanche lorsqu’elle brûle). L’ensemble est un "contenant chaud et lumineux". Au final, le fil transparent étreint ce cœur métallique jusqu’à le rendre opaque.
– La deuxième tentative a consisté à photographier cet objet et à l’imprimer en offset 10 000 fois sur 5000 feuilles recto verso. Résultat, les pages d’un livre de 1 m de longueur environ d’épaisseur, contenant la représentation de la ligne voulu des 300 000 km. La reliure de ce livre n’a, pour des raisons économiques, jamais vu le jour et les pages, à chaque fois que l’œuvre a été présentée (3 fois déjà) sont emportées par les visiteurs de l’exposition à la manière des affiches de Félix Gonzalez Torres.
– La troisième tentative est plus directe : matérialiser le trait de la lumière sans la médiation de la machine. Dessiner. Par trois fois j’ai parcouru 3km de chemin, une distance « tangible » et saisissable par l’homme, un crayon à la main. La première fois directement sur le mur blanc d’une galerie avec un crayon noir, il m’a fallu 21h pour ce trait e 3km, la deuxième fois sur un tableau noir à la craie blanche 39h et la troisième, toujours à la craie sur du papier 18h environ. Bien que maintenant il m’est facile de savoir combien je suis plus lent que la lumière, la réponse scientifique m’importe peu. Résultat, le trait jamais égal reflète mon état physique et psychique aléatoire. La ligne raconte l’épuisement et l’exaltation, elle devient une écriture personnelle, une onde qui palpite, des strates, un signe fragile et monumental à la fois.
– La quatrième tentative consistait à demander à un grand athlète, un coureur de fond, de parcourir en « vitesse de croisière » avec une caméra vidéo à la main la distance de 3 km sur une petite rue dans la campagne. Résultat, un film de 9 minutes environ littéralement renversant. Le titre donné après coup est « 3km / 625 jours ». Le temps que devrait courir cet athlète/marathonien de la lumière, pour atteindre la distance que la lumière parcourt en une seconde. Quand à moi, simple mortel, 250 années de travail 24h/24 ne suffiraient probablement pas pour dessiner les 300 000 km ...